Sait-on que le creusement du premier canal Beauharnois (1842-1845), reliant les lacs fluviaux Saint-François et Saint-Louis, a donné lieu au conflit de travail le plus meurtrier de l’histoire du Canada ? Le dérapage tragique du 12 juin 1843, survenu lors de la grève d’envergure menée par les terrassiers irlandais assignés à l’aménagement de cette liaison navale faite à main d’homme, contraignit d’ailleurs l’État canadien à instituer une des premières enquêtes publiques au pays en devenir.
À la faveur d’une approche où se croisent l’histoire, l’anthropologie et la géographie, Roland Viau jette une lumière crue sur cet épisode marquant de notre passé. Il discute d’abord la question des enjeux financiers liés au projet de canaliser la rive sud du Haut Saint-Laurent au temps de l’Union des deux Canadas. Puis, il raconte comment le plus gros chantier de Beauharnois fut conduit, avant de se livrer à une description détaillée de la pénibilité, de l’environnement et des conditions sociales de travail des 2 350 hommes mobilisés. Sa sensibilité au social l’amène également à s’intéresser aux relations des travailleurs immigrants avec la population francophone locale et à faire revivre le quotidien des familles ouvrières irlandaises installées le long du canal en cours.
L’auteur focalise ensuite son attention sur la grève de 1843. À cette fin, il reconstitue la trame des événements ayant mené à l’affrontement sanglant entre les grévistes et les militaires devant l’auberge Grant’s Inn, à Saint-Timothée. En réunissant de nouvelles pièces historiques au dossier, il réexamine l’enquête gouvernementale subséquente au drame du «Lundi rouge» pour aboutir à des constats probants. Le bilan des mortalités causées par la violence débridée de la troupe dépêchée sur place s’est avéré beaucoup plus lourd que celui retenu par la version officielle. Les enfants irlandais en bas âge, tombés d’inanition, ont été les principales victimes du conflit de travail. Et tout indique qu’une organisation clandestine, une société secrète préfigurant le syndicat, imprimait une direction à la masse des travailleurs.